A jour au 26 mars 2020
La loi d’urgence pour faire face à l’épidémie COVID19 (2020-290) a été promulguée et a autorisé le gouvernement à prendre, sur ordonnances, des mesures visant à :
« Permettre de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non-paiement de ces factures, au bénéfice des microentreprises, au sens du décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d’appartenance d’une entreprise pour les besoins de l’analyse statistique et économique, dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie ;
Le 25 mars 2020, une ordonnance a été présentée en Conseil des ministres, publiée le 26 mars, interdisant :
1/ la suspension, l’interruption et la réduction de la fourniture d’électricité, de gaz et d’eau pour ces entreprises, et prévoit si elles le demandent l’échelonnement dans le temps du paiement des factures correspondantes, sans pénalité ;
2/ l’application de pénalités financières, de dommages et intérêts, d’exécution de clause résolutoire ou de clause pénale ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents aux locaux professionnels et commerciaux de ces entreprises. Le périmètre des entreprises concernées est le même que celui du fonds de solidarité.
Seules seront donc concernées les professions libérales, les TPE et microentreprises, à l’exclusion des PME et ETI.
Il ne s’agit pas d’une autorisation de ne pas payer mais plutôt une interdiction pour le bailleur d’agir contre la locataire. Attention également, le contrat ne sera pas suspendu, et les loyers seront bien dus à l’issue de la période donnée.
Pour quelle période ? Cette interdiction s’applique aux loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.
1- Pour les entreprises en bénéficiant
Les critères vont être établis par Décret à venir et seront les mêmes que pour les entreprises qui pourront bénéficier du fond de solidarité.
Il s’agira a priori des très petites entreprises (TPE), indépendants, micro-entrepreneurs et professions libérales :
- de moins de 10 personnes,
- ayant un chiffre d’affaires inférieur à 1 million d’euros et un bénéfice annuel imposable inférieur à 60 000 euros,
- qui ont fait l’objet d’une fermeture administrative, et ont subi une perte de 70% de chiffre d’affaire en mars 2020 par rapport à mars 2019.
2- Pour les autres entreprises plus importantes
Il s’agira de réfléchir à l’application des outils juridiques déjà existants et notamment l’article 1218 du Code civil, qui dispose que :
« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités pas des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 ».
La force majeure doit donc être :
- Imprévisible
- Irrésistible
- Extérieure
Le Premier Ministre a indiqué que la crise sanitaire constitue un cas de force majeure.
➢ Seulement cette déclaration n’engage que l’État vis-à-vis de ces propres co-contractants
Ainsi, les trois conditions de la force majeure devront être remplies pour chaque cas particuliers ;
Revenons sur ces conditions :
La condition d’extériorité n’est pas un sujet puisque ni le locataire ni le bailleur ne sont à l’origine de l’épidémie.
La condition d’imprévisibilité ne semble pas non plus présenter de difficulté particulière : dès lors que la conclusion du contrat est antérieure à la survenance de l’épidémie, les parties ne pouvaient la prévoir, en tout cas pas dans ses effets actuels. Attention : concernant les contrats conclus postérieurement à l’épidémie, cette condition ne sera pas remplie.
La question se pose donc du critère d’irrésistibilité .
Il doit s’agir d’un évènement « dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées » et qui « empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».
Ce critère s’appréciera « in concreto », au cas par cas.
Par exemple, il n’y aura pas forcément de lien direct et évident entre l’interdiction du commerce de recevoir du public et l’impossibilité du locataire de régler les loyers.
En effet, le locataire qui dispose à la date d’échéance du loyer, d’une trésorerie confortable ou suffisante, voire d’un maintien de tout ou partie de ses ressources, le caractère d’irrésistibilité n’apparaît pas constitué : il n’y aura donc pas de force majeure et les loyers devront être réglés.
Aussi, le manque de liquidité au moment de l’échéance du loyer ne sera pas nécessairement une cause de non-paiement des loyers pour force majeure.
Voyons deux hypothèses différentes :
Un arrêté a interdit l’ouverture d’un local commercial (ou ne l’a pas autorisé) exploité en vertu d’un bail en raison de sa destination (activité prévue dans le contrat de bail).
On pourra alors peut-être considérer que le bailleur ne peut plus exécuter son obligation de mise à disposition du local pour cas de force majeure, suspendant le contrat de bail.
De plus en cas de privation totale de jouissance non imputable au preneur, ce dernier pourrait essayer faire valoir l’exception d’inexécution (article 1220 du Code civil) :
« Une partie (le locataire) peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle », cette suspension devant « être notifiée dans les meilleurs délais ».
Le locataire devra ainsi notifier au bailleur qu’il ne paiera pas les loyers pendant la période d’interdiction d’activité.
Ces solutions présentent des risques de contentieux judiciaire dont l’issue ne serait pas forcément favorable au locataire.
Baisse significative du CA durant la crise sanitaire `
Cette situation est encore plus délicate pour le locataire puisque, d’une part, le bailleur respecte bien son obligation de délivrance et, d’autre part, les juges admettent rarement la force majeure pour justifier l’inexécution d’une obligation de payer (un loyer).
Il faudra donc prouver que :
- l’entreprise ne pas peut pas payer son loyer
- que l’absence de liquidité est directement liée à l’épidémie.
Cette démonstration sera soumise au juge, et donc comporte un risque judiciaire, un aléa.
➢ La force majeure ne justifiera donc pas nécessairement le non-paiement de loyers.
Si l’entreprise devait toutefois suspendre le paiement des loyers sur la base de la force majeure (pouvant démontrer les deux éléments ci-dessus) :
Il est recommandé de notifier à leur bailleur la suspension des loyers sur le fondement de la force majeure, dans le respect du processus décrit dans le bail, en documentant sérieusement sur le plan comptable et financier l’impossibilité (et pas seulement la difficulté) de régler le loyer pendant la période de confinement.
Autre possibilité : L’imprévision (article 1195 du Code Civil)
Les parties peuvent renégocier leur contrat lorsqu’un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie.
En cas d’échec dans la renégociation, les parties peuvent décider de résoudre le contrat ou de soumettre ce contrat au juge, qui procédera à son adaptation.
Cette disposition pourrait parfaitement s’appliquer à l’épidémie de coronavirus mais cela suppose que le bail ait été conclu ou renouvelé postérieurement à l’entrée en vigueur de ce texte, soit à compter du 1er octobre 2016.
Problème : tant que le juge ne s’est pas prononcé, les parties sont tenues d’appliquer le contrat dans toutes ses dispositions = Les loyers devront être versés.
Il n’est donc pas certain que le recours au juge au visa de l’article 1195 constitue la mesure la plus appropriée à ce stade.
En Conclusion :
Pour les TPE – Nous attendons les détails des critères d’éligibilité au fond de solidarité et donc à l’interdiction des sanctions du bailleur.
A la lecture de l’ordonnance, qui manque de clarté, il s’agirait bien d’un report et non pas d’une suspension, c’est-à-dire que les loyers devront, à terme, être payés.
Pour les autres entreprises – il est souhaitable à ce stade de commencer par solliciter du bailleur, par écrit, une suspension amiable, puis d’envisager les outils à la disposition du locataire, au cas par cas.
Jérôme FERRANDO
Avocat Associé | SARL SPE LEXANDO & CARACTEQ